Notes sur « Le dernier salaire » de Margaux Gilquin

Publié le par Fabienne Sartori

Notes sur « Le dernier salaire » de Margaux Gilquin

« L’art et le marketing sont deux choses différentes. » a dit l’artiste Prince.

Écrire un livre sur ses galères, le défendre dans les médias, se prêter à des interviews constitue une véritable mise à nu, sans doute éprouvante, à l’heure où la question du chômage – un phénomène massif - est largement ignorée ou traitée avec une désinvolture scandaleuse. D’ailleurs, ce mois-ci (le 25 avril 2016), l’évocation du chômage sera-t-elle réduite à des statistiques mensuelles commentées avec la légèreté due aux variations météorologiques ? Peut-être même avec moins de sérieux, car la météo, c’est l’espoir du soleil, la perspective des vacances, la bonne santé du tourisme et de l’hôtellerie restauration. Peut-être, signe de bonne volonté ou affichage de sollicitude bon chic bon teint, suivra un sujet-bateau sur les secteurs qui recrutent, les regroupements d’employeurs, les Cravates Solidaires.

Mais comment un livre – un récit, un discours, le témoignage de la personne elle-même sur la réalité du chômage, sans filtrage ni interprétation - peut-il faire son chemin vers les lecteurs ? Un livre peut s’égarer au milieu de la surproduction éditoriale. Les agents littéraires, les attachés de presse rivalisent pour bien placer leurs produits. Difficile aussi de faire parvenir une parole à nos responsables politiques dont l’agenda est bien ficelé et dont l’oreille est sourde aux souffrances ordinaires. Parce qu’il y a deux objectifs dans le récit de Margaux Gilquin : témoigner avec courage de sa situation personnelle alors que les victimes préfèrent rester dans l’ombre ; interpeller les politiques et les inciter à prendre leurs responsabilités. Au passage, elle interpelle utilement les journalistes. Mais comment sauver sa peau entre le témoignage singulier (l’écriture d’un livre, la vie privée) et le sensationnel (l’exposition médiatique, les ITW, etc.) ?

Là où le témoignage de Margaux est précieux, c’est quand elle fait voir que le chômage dure des années – 7 ans dans son cas - et compromet l’espoir d’une vie digne, au présent et au futur. Quelle retraite espérer en effet, après une fin de carrière aussi problématique ? Il faudrait, dit-elle dans une interview, se débrouiller avec 16 euros par jour et « se contenter de voir vivre les autres ». Elle rappelle aussi que le chômage n’est pas une question de qualification (elle est diplômée et peut faire valoir une solide expérience) mais un effet des discriminations présentes dans la société. Des discriminations dont on ne parle pas, qui ne tiennent pas à la couleur de la peau. Des discriminations qui frappent les femmes et les travailleurs âgés. Des discriminations gênantes que la société préfèrerait laisser sous le tapis.

Là où Margaux est admirable, c’est quand elle dit qu’elle n’en veut pas aux personnes qui l’ont reçue, les chefs arrogants, les trentenaires stupides… C’est ici qu’il faudrait prendre le relais de Margaux, qui a déjà suffisamment travaillé, qui s’est suffisamment exposée. Il faudrait pointer les responsabilités d’une partie de la société, avide et férocement égoïste, qui a laissé s’installer sans broncher une situation aussi misérable. On ne risque rien de les égratigner. De toute façon, ils ne lisent pas.

Publié dans Livres

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G
Bonjour Fabienne<br /> <br /> Comme je suis touchée par votre article. Pardonnez moi, je ne l'avais pas encore vu. Merci merci mille fois de si bien me comprendre. Merci. La lutte continue.
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