"La vie à l'échelle 1"

Publié le par Fabienne Sartori

"La vie à l'échelle 1"

Éric Chauvier, Les Mots sans les choses (Paris: Allia, 2014)

Aujourd’hui tout le monde parle. Tout le monde écrit. Et dit n’importe quoi ? Et si l’utilisation sans rigueur des concepts de la psychanalyse et de la sociologie ne produisait en définitive que toujours plus de pagaille, d’anomie et de barbarie ? À partir de situations concrètes – une visite chez le médecin, un entretien avec un jeune des banlieues, le récit de la passion incompréhensible d’une enfant pour l’automobile – l’anthropologue Éric Chauvier s’interroge sur la capacité des discours ambiants à enterrer toute manifestation de l’expérience sensible, à recouvrir de jargon et de langage abâtardi toute réalité véritablement vécue par les êtres humains. Notamment celle des enfants avant le formatage scolaire et celle des malades qui échouent à communiquer… Tout cela n’est pas sans rappeler les recherches de Michel Foucault sur la folie, et son analyse des « marges ». Justement Éric Chauvier se confronte à la pensée de l’auteur des Mots et des choses et à celle de Pierre Bourdieu, deux auteurs dont il met les théories à l’épreuve. Il dénonce la volonté de faire, malgré tout, système (chez Bourdieu) et la capacité à s’abstraire soi-même de l’analyse (chez Foucault, qui n’a pas ancré « sa vie dans le terreau de son existence.») Il ne s’agit pas seulement de revisiter les travaux de ces deux figures tutélaires – ils ont permis d’entrevoir les problèmes sur lesquels la société risque de se briser – mais de refuser tout nouvel académisme, de s’opposer à leur recyclage par les faiseurs d’opinion et les politiques. À l’heure où les sciences humaines et sociales sont en passe de devenir un grand réservoir de pensées toutes faites, Éric Chauvier évoque « la vie telle qu’elle apparaît », « les formes de la vie ordinaire », « le sol raboteux de l’ordinaire », "la vie à l’échelle 1 » et réaffirme l’importance de l’expérience sensible face aux modèles théoriques.

Par exemple, depuis les années 1980, le « care », la « société du bien-être » font partie de ces concepts théoriques qui traînent partout, permettent de régler les problèmes de façon éthique et enveloppante, en niant les dissonances et les aspérités du monde social.

« Des mots calibrés sortent désormais bradés au plus offrant des gouvernants : « éco-responsabilité, mixité, durabilité, ville-monde, planétaire, ville globale, ville diffuse, ethno-marketing, féminicide, care, ordre genré, justice environnementale », liste non limitative. « (P.90)

Publié dans Livres

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article